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RÉSUMÉ: Jusqu' aux années 1970, les grandes conventions
de I'UNESCO avaient défini leur champ d'application suivant
une vision extremement restreinte du patrimoine culturel, limité
essentiellement a sa dimension archéologique. Au fil des
années, I'UNESCO et ses pays membres comprirent que la
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notion de culture engageait des aspects immatériels ; depuis
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Saúl Millán, professeur d'anthropologie sociale,
Ecole nationale d'anthropologie
et d'histoire, Mexico
1972, la vision archéologique du patrimoine culturel fut peu
a peu remplacée par une conception qui tend plutat vers
I'anthropologie culturelle. Le concept de diversité culturelle
a joué un rale décisif dans ce processus; iI a aussi permis
I'exploration d'une possible substitution de I'ancienne notion
de monument artistique et archéologique par la conception
immatérielle du patrimoine culturel au sein, notamment, des
législatures latino-américaines, dont la mexicaine.
En 1952, et cornme préambule a ce qui plus tard allait
orienter les propres suggestions de l'UNESCO, Claude
Lévi-Strauss se rérera a cet organisme international pour
souligner que la notion de culture n'était compréhensible
qu'en raison de sa diversité, et que cerre diversité n'était
pas le produit de l'isolement des groupes humains, mais
au contraire des rapports qui les unissent (Lévi-Strauss
1979). Exprimée dans un contexte international, l'idée
éveillait des résonances a l'intérieur d'un organisme né
dans le but de préserver le patrimoine culturel de l'humanité. En effet, au fil des ans, tant I'UNESCO que ses pays
membres ont. assumé que la notion de culture incluait des
aspects a caractere irnmatériel et, depuis 1972, ils ont remplacé peu a peu la vision uniquement archéologique du
patrimoine culturel par une conception plus anthropologique de la culture. Vers le milieu des années 1970, et en
plein régime militaire, la législation brésilienne a introduit
la catégorie de "référence culturelle" afin d'élargir le sens
a l'ancien concept de "patrimoine historique et artistique" ,
tandis qu'au Mexique on cornmenr;ait a substituer l'ancienne notion de "monument artistique et archéologique"
par celle de "bien culturel" (Díaz Berno 1990).
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La premiere moitié des années 1970 semble etre un moment décisif pour les nouvelles conceptions de la culture,
qui se développent a partir des mouvements de décolonisation et qui soulignent la différence historique, ethnique et linguistique. Durant cette période, 1'idée que les
cultures étaient par essence diverses s'était largement répandue dans les pays en voie de développement, ce qui
permettait aux cultures nationales et régionales de revendiquer leur droit d'exister, c'est-a-dire leur droit a la différence. Les colonies européennes en Afuque et en Océanie se trouvaient sur le chemin de 1'indépendance et
revendiquaient par conséquent la dignité d'une histoire et
d'une culture propres. En évoquant cette époque,
Marshall Sahlins déclarerait plus tard que "la conscience
d'une culture propre, qui se développe parmi les anciennes
victimes de 1'impérialisme est un phénomene des plus
importants de 1'histoire mondiale dans la fin du XX' siecle"
(Sahlins 1993: 3).
En Amérique latine, 011les courants anthropologiques
s'étaient développésjusqu'alors en fonction des politiques
indigénistes, destiné es a 1'intégration des Indiens aux prograrnmes de développement national, les visions sur la
diversité culturelle s'expriment dans différentes spheres et
comparent les politiques gouvernementales aux politiques
ethnocides. Ainsi, pendant que les organisations indigenes
réclament la récupération de leurs langues et de leurs territoires, menacés par 1'apparition des Etats-nations, 1'Organisation intemationale du travail (OIT) remplace 1'ancien
Accord 107 sur les "populations indigenes", d'inspiration
intégrationniste, par 1'Accord 169 sur les "peuples indigenes". Conforme aux recornmandations de 1989 formulées par 1'UNESCO, le nouvel instrument international
reconnait aux peuples indigenes le droit de disposer d'un
territoire et de réguler leur propre développement, afin
de maintenir et de renforcer leur identité culturelle.
L'anthropologie latino-américaine a tenu a cette époque
une fonction fondamentale dans le processus de légitimation du discours indianiste face a l' opinion publique: "en
rompant brutalement avec l'indigénisme asservissant, une
nouvelle génération d'anthropologie met en place le pouvoir idéologique et politique traditionnel au sein de sa discipline au service de 1'indianité" (Favre 1998: 140). Pour
ceux qui suivent ce courant, réunis autou,r de la Déclaration de la Barbade (1971), les institutions chargées du
patrimoine culturel promouvaient une vision colonialiste
du patrimoine, de telle fa<;:onque les institutions de 1'Etat
supprimaient les expressions de la diversité culturelle en
faveur d'une théorie nationaliste de 1'histoire. En effet, des
le début du XIX' siecle, 1'histoire avait été 1'alliée proche
des arguments nationalistes, habitués a l' évocation du
passé pour donner l'idée d'une cornmunauté imaginaire,
finie et politiquement souveraine. Pendant deux siecles,
le mariage entre ces deux discours fut considéré cornme
le résultat de 1'idée d'une "unité culturelle", indispensable
pour la formation des Etats-nations, rnais incompatible
avec les visions anthropologiques de la culture, qui mettaient de plus en plus 1'accent sur le role de la difterence
et de la diversité cornme concepts explicatifS des cultures;
a 1'inverse, 1'histoire nationaliste semblait justifier l'unité
politique du territoire dans l'argument d' une culture homogene et ancestrale, diverse dans ses nuances et uniforme
dans ses significations. En conséquence, les institutions
mexicaines, chargées du patrimoine national, appliquaient
un processus de sélection sur 1'histoire du passé et la géographie du présent, en soulignant les éléments susceptibles
d'etre assimi1ésau creur d'un discours unitaire. Les ruines
et les monuments historiques répondaient parfaitement a
cette fonction dans la mesure 011leur lecture dépendait
toujours de 1'interprétation du momento
Bien que 1'importance accordée a 1'unité culturelle ait
permis a 1'anthropologie indigéniste de mettre au point
les projets nationalistes de la premiere moitié du XX' siecle,
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les nations se montraient, de leur coté, bien plus diverses
que ce que le projet original avait envisagé. Dans des pays
ou de larges secteurs de la population s'exprimaient dans
d'autres langues que la langue oHicielle, 1'unité culturelle
se présentait plutot comme un but a atteindre que comme
une réalité observable. Un exemple qui illustre clairement
cet écart se manifestait alors dans la distance existant entre
International
O¡'-RIMOINE IMlvlATERIEL ET DiJERSITE CULTURELLE
DE!., EíJ!(;!v!EC PO' JF: _ Ai'ITHROPOLOGIE ME '¡"¡.mE
celle soulignant achaque instant son caractere unitaire se
sont résolues par le biais d'une taxinomie. Au lieu de faire
référence a un patrimoine culturel en général, les documents internationaux ont eu tendance a établir une dis-
tinction plus ou moins précise entre le matériel et 1'immatériel, cette distinction rappelant l'ancienne dichotomie
chrétienne entre matiere et esprit. La Convention de 1976,
la diversité linguistique et 1'unité culturelle recherchée par
établie au Mexique, avan~ait que le patrimoine culturel
les programmeséducatifS.Dans l'ouvrage Versun nouveau de 1'humanité incluait aussi bien les créations héritées du
Mexique, qui fonda les bases du projet indigéniste, Manuel
passé au niveau matériel que les habilités artistiques et les
Gamio rappelle le fait que la diversité linguistique du pays sensibilités esthétiques au travers desquelles les peuples
constituait un obstacle pour les programmes éducatifs, raiactuels s'expriment. Parrni d'autres criteres, la Charte de
son pour laquelle il suggéra la mise en place d'une vaste
Mexico de défense du patrimoine culturel définissait le
campagne d'hispanisation qui donnerait aux peuples indipatrimoine immatériel comme l' ensemble des "us et cougenes 1'acces aux bénéfices du progres: les langues inditurnes de tous les peuples et groupes ethniques, du passé
genes représentaient selon lui "une certaine utilité pour
et du présent", parrni lesquels se trouvaient les "exprescertaines spécialités scientifiques, comme les études ethsions littéraires, linguistiques et musicales" (1976: 56).
nographiques et folkloriques; en revanche elles n'apporL'expression "us et coutumes" qui, des années plus tard,
teraient pas le progres culturel des aborigenes, cela étant
fera partie de 1'article 4 de la Constitution du Mexique,
1'objectiH atteindre" (Gamio, 1987: 69).
représentait un concept encore plus abstrait que celui de
Par définition, 1'idée du patrimoine national présup"culture traditionnelle et populaire" employé dans des
posait un champ relativement homogene, avec des limites
documents antérieurs, mais avait 1'avantage d'élever au
spatiales et un bien commun limité et quantifiable. Pourrang de patrimoine les pratiques, croyances et connaistant, de cerre idée résultait un principe incompatible avec
sances qui ne se manifestent pas forcément sous forme de
les visions anthropologiques identifiant culture et divercréations monumentales. En conséquence, a partir de
sité, dont les conceptions du patrimoine étaient forcément
1992, la législation nationale fut substantiellement modiplurielles. Construire 1'unité d'un patrimoine sur la base fiée, admettant que "la nation mexicaine a une composid'une carte culturellement diverse était une tache qui prétion pluriculturelle fondée originellement sur ses peuples
supposait le développement d'un projet national construit
indigenes", et l' obligation de protéger et de promouvoir
sur la reconnaissance de la pluralité. Pour 1'anthropologue
"le développement de ses langues, cultures, us, coutumes,
mexicain Guillermo Bonfil, qui tout au long de sa vie s'est
recours et formes spécifiques d'organisation sociale" fut
prononcé en faveur de ce projet, il s'agissait avant tout
ainsi légalisée.
d'accepter la diversité des patrimoines culturels, aussi légiPour les pionniers de 1'indigénisme mexicain, la construction d'une nation comme la notre se confi:ontait a de
times les uns que les autres, 011la culture nationale prendrait le role d'un terrain partagé par rous et d'un champ
sérieux problemes, ils allaient de la diversité linguistique
propice au dialogue. En soulignant que ce processus sup- jusqu'a 1'hétérogénéité religieuse et culturelle. Aujourposait "un dialogue entre égaux, et non pas un monologue
d'hui, étant donné que le pays n'a plus beso in de preuves
vertical qui ne se transmet que dans un seul sens" (1979:
de son existence, la diversité peut etre con~ue plutot comme
39), Bonfil déplorait que la culture nationale soit excluune richesse que comme une lirnitation. Du fait que la
sivement identifiée a la culture occidentale, notamment
pluralité du Mexique se fonde sur les peuples indigenes
en raison de 1'intention idéologique de conformer et de
habitant le territoire national, comme 1'admet 1'article 4
légitimer un patrimoine universel. De la surgit le besoin
de la Constitution, ceux-ci se trouvent dans une position
de questionner pourquoi une pyrarnide, un monument
qui peut etre considérée jusqu'a un certain point comme
historique ou une piece artisanale avaient une valeur cultuprivilégiée: ils représentent l' embleme de la différence, le
relle plus importante qu'une langue vernaculaire ou une
bastion de la diversité culturelle préservée par une nation
danse cérémonielle, bien que ces dernieres aient constitué
qui, aujourd'hui, ne se reve plus comme unitaire. Si 1'on
des éléments indispensables a la reproduction sociale et
admet que la culture ne peut etre connue que par ses difculturelle d'un groupe déterrniné.
férences, on comprendra pourquoi le développement de
Au rnilieú des années 1970, les différences entre la ces langues et us et coutumes est un ingrédient indispenperspective mettant 1'accent sur la diversité culturelle et
sable pour identifier nos propres variantes culturelles. Les
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51
setzen und dies namentlich in der lateinamerikanischen und
peuples indigenes en particulier sont la pour nous rappeler
que nos valeurs sont également relatives, sujettes au temps
et a l' espace, et aussi pour nous faire voir que la différence,
quand elle n'est pas traduite en ségrégation et discrimination, a pour valeur de fonctionner cornme une limite a
nos propres convictions et croyances.
RI~~SUNTO: Fino agli anni '70 del Novecento le grandi convenzioni dell'UNESCO avevano definito i loro campi d'applicazione in base a una visione estremamente ristretta del
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2010. @ Alain Germond.
VALLE, Irene, "Legislaciones nacionales y patrimonio
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Trabajadores académicos delINAH,
1995.
est docteur en anthropologie et
membre du Systeme national des chercheurs (niveau 11),
ainsi que l'Académie mexicaine des sciences anthropologiques. 11est actuellement professeur dans le cadre du programme d'études supérieures en anthropologie sociale a
l'Ecolenationaled'anthropologie et d'histoire (ENAH)a Mexico.
11est I'auteur, notamment, de La ceremonia perpetua (1993),
Lagunas del tiempo (2002) et El cuerpo de la nube (Premio
Sahagún, INAH, 2005).smillan@prodigy.com.mx
L'AUTEUR: Saúl Millán
ZUSAMMENFASSUNG: Bis in die 1970er Jahre definierten
die grossen UNESCO-Konventionen
ihren Zustandigkeitsbereich gemass einer extrem eingeschrankten
Auffassung
von Kulturerbe, die sich grósstenteils auf eíne archaologische Dimension beschrankte. 1mVerlauf der Zeit verstanden die UNESCO und ihre Mitgliederstaaten, dass die Definition von Kultur auch immaterielle Aspekte umfasst. Seit
1972 wurde die rein archaologische Auffassung von Kulturerbe allmahlich durch eine Konvention ersetzt. die sich der
kulturellen Anthropologie annaherte. Das Konzept von "kultureller Diversitat" hat eine einschlagige Rollein diesem Prozess g~spielt. Es hat ermóglicht, die veraltete Auffassung
von "künstlerischem und archaologischen monument" durch
eine Vorstellung von immateriellem kulturellem Erbe zu er-
Exposition parce Queue,Musée d'histoire nacurelle,Neuchatel, 2009-
,
.