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Patrimoine immatériel et diversité culturelle

2010, Museums

Abstract

Jusqu' aux années 1970, les grandes conventions de I'UNESCO avaient défini leur champ d'application suivant une vision extremement restreinte du patrimoine culturel, limité essentiellement a sa dimension archéologique. Au fil des années, I'UNESCO et ses pays membres comprirent que la notion de culture engageait des aspects immatériels ; depuis 1972, la vision archéologique du patrimoine culturel fut peu a peu remplacée par une conception qui tend plutat vers I'anthropologie culturelle. Le concept de diversité culturelle a joué un rale décisif dans ce processus; iI a aussi permis I'exploration d'une possible substitution de I'ancienne notion de monument artistique et archéologique par la conception immatérielle du patrimoine culturel au sein, notamment, des législatures latino-américaines, dont la mexicaine.

'-' museums.ch DIE SCHWEIZER MUSEUMSZEITSCHRIFT / LA REVUE SUISSE DES MUSÉES / LA RIVISTA SVIZZERA DEI MUSEI .'.' _..Jt j.".,., r'-"'~. ",,,-,y.u~ ..,.,'.'~m ~,~.,,,_ft'''~_' , ~ , . , -. '. "."'... .'.T~~:"",fj(.#~W¡!M.r-",n...~.,,,.I'~'-_J.;.;oo.iII~_~;___'_ ~ - '---' ~- -- '-' museums.ch DIESCHWEIZERMUSEUMSZEITSCHRIFTI LA REVUESUISSE DES MUSÉESI LA RIVISTASVIZZERADEIMUSEI :;~I 1 ; ~ - '-- - . ~8 - International PATRIMOII\IEIMMnER EL.E' [JlvERSITECULTLiRELLE DEIJXENIGMES POI)P L Ai''THROFOLC'3iE '\1E,,IC;>.lNE ,:.. ¡r ;éU! [1<::'~I -q -{ I i 11 , '. ~ :~ . '!lO ,- >J , B ",fr. '\ ~_ ~ ""'~,',,. "Wit,,'''.:._ ~,i;. '.\. , I ... J L,..,;:'. a f:L. ~ ;:o.~. .~:.- PATRIMOINE _n _ _ / 1MMATE RIEL .. ... n ~ ' ,~. , '. ," '"","~¡..<)"" .' ~,,~~)I!I')' '_,.."",,1,_."'- 1 ,o""c;:">'" 'I.'-.~ RÉSUMÉ: Jusqu' aux années 1970, les grandes conventions de I'UNESCO avaient défini leur champ d'application suivant une vision extremement restreinte du patrimoine culturel, limité essentiellement a sa dimension archéologique. Au fil des années, I'UNESCO et ses pays membres comprirent que la h____ notion de culture engageait des aspects immatériels ; depuis ET DIVERSITÉ CUL TURELLE DEUX ENIGMES , .__,__u___ __o / ___ __ .______..______ ______ u "_._________ POUR L'ANTHROPOLOGIE MEXICAINE __ _n + __n________._ -------- -------.--- Saúl Millán, professeur d'anthropologie sociale, Ecole nationale d'anthropologie et d'histoire, Mexico 1972, la vision archéologique du patrimoine culturel fut peu a peu remplacée par une conception qui tend plutat vers I'anthropologie culturelle. Le concept de diversité culturelle a joué un rale décisif dans ce processus; iI a aussi permis I'exploration d'une possible substitution de I'ancienne notion de monument artistique et archéologique par la conception immatérielle du patrimoine culturel au sein, notamment, des législatures latino-américaines, dont la mexicaine. En 1952, et cornme préambule a ce qui plus tard allait orienter les propres suggestions de l'UNESCO, Claude Lévi-Strauss se rérera a cet organisme international pour souligner que la notion de culture n'était compréhensible qu'en raison de sa diversité, et que cerre diversité n'était pas le produit de l'isolement des groupes humains, mais au contraire des rapports qui les unissent (Lévi-Strauss 1979). Exprimée dans un contexte international, l'idée éveillait des résonances a l'intérieur d'un organisme né dans le but de préserver le patrimoine culturel de l'humanité. En effet, au fil des ans, tant I'UNESCO que ses pays membres ont. assumé que la notion de culture incluait des aspects a caractere irnmatériel et, depuis 1972, ils ont remplacé peu a peu la vision uniquement archéologique du patrimoine culturel par une conception plus anthropologique de la culture. Vers le milieu des années 1970, et en plein régime militaire, la législation brésilienne a introduit la catégorie de "référence culturelle" afin d'élargir le sens a l'ancien concept de "patrimoine historique et artistique" , tandis qu'au Mexique on cornmenr;ait a substituer l'ancienne notion de "monument artistique et archéologique" par celle de "bien culturel" (Díaz Berno 1990). :;,.. , , I 49 ..II I I ~ - La premiere moitié des années 1970 semble etre un moment décisif pour les nouvelles conceptions de la culture, qui se développent a partir des mouvements de décolonisation et qui soulignent la différence historique, ethnique et linguistique. Durant cette période, 1'idée que les cultures étaient par essence diverses s'était largement répandue dans les pays en voie de développement, ce qui permettait aux cultures nationales et régionales de revendiquer leur droit d'exister, c'est-a-dire leur droit a la différence. Les colonies européennes en Afuque et en Océanie se trouvaient sur le chemin de 1'indépendance et revendiquaient par conséquent la dignité d'une histoire et d'une culture propres. En évoquant cette époque, Marshall Sahlins déclarerait plus tard que "la conscience d'une culture propre, qui se développe parmi les anciennes victimes de 1'impérialisme est un phénomene des plus importants de 1'histoire mondiale dans la fin du XX' siecle" (Sahlins 1993: 3). En Amérique latine, 011les courants anthropologiques s'étaient développésjusqu'alors en fonction des politiques indigénistes, destiné es a 1'intégration des Indiens aux prograrnmes de développement national, les visions sur la diversité culturelle s'expriment dans différentes spheres et comparent les politiques gouvernementales aux politiques ethnocides. Ainsi, pendant que les organisations indigenes réclament la récupération de leurs langues et de leurs territoires, menacés par 1'apparition des Etats-nations, 1'Organisation intemationale du travail (OIT) remplace 1'ancien Accord 107 sur les "populations indigenes", d'inspiration intégrationniste, par 1'Accord 169 sur les "peuples indigenes". Conforme aux recornmandations de 1989 formulées par 1'UNESCO, le nouvel instrument international reconnait aux peuples indigenes le droit de disposer d'un territoire et de réguler leur propre développement, afin de maintenir et de renforcer leur identité culturelle. L'anthropologie latino-américaine a tenu a cette époque une fonction fondamentale dans le processus de légitimation du discours indianiste face a l' opinion publique: "en rompant brutalement avec l'indigénisme asservissant, une nouvelle génération d'anthropologie met en place le pouvoir idéologique et politique traditionnel au sein de sa discipline au service de 1'indianité" (Favre 1998: 140). Pour ceux qui suivent ce courant, réunis autou,r de la Déclaration de la Barbade (1971), les institutions chargées du patrimoine culturel promouvaient une vision colonialiste du patrimoine, de telle fa<;:onque les institutions de 1'Etat supprimaient les expressions de la diversité culturelle en faveur d'une théorie nationaliste de 1'histoire. En effet, des le début du XIX' siecle, 1'histoire avait été 1'alliée proche des arguments nationalistes, habitués a l' évocation du passé pour donner l'idée d'une cornmunauté imaginaire, finie et politiquement souveraine. Pendant deux siecles, le mariage entre ces deux discours fut considéré cornme le résultat de 1'idée d'une "unité culturelle", indispensable pour la formation des Etats-nations, rnais incompatible avec les visions anthropologiques de la culture, qui mettaient de plus en plus 1'accent sur le role de la difterence et de la diversité cornme concepts explicatifS des cultures; a 1'inverse, 1'histoire nationaliste semblait justifier l'unité politique du territoire dans l'argument d' une culture homogene et ancestrale, diverse dans ses nuances et uniforme dans ses significations. En conséquence, les institutions mexicaines, chargées du patrimoine national, appliquaient un processus de sélection sur 1'histoire du passé et la géographie du présent, en soulignant les éléments susceptibles d'etre assimi1ésau creur d'un discours unitaire. Les ruines et les monuments historiques répondaient parfaitement a cette fonction dans la mesure 011leur lecture dépendait toujours de 1'interprétation du momento Bien que 1'importance accordée a 1'unité culturelle ait permis a 1'anthropologie indigéniste de mettre au point les projets nationalistes de la premiere moitié du XX' siecle, .... 50 rr.usEums.cI1/; 5 201; les nations se montraient, de leur coté, bien plus diverses que ce que le projet original avait envisagé. Dans des pays ou de larges secteurs de la population s'exprimaient dans d'autres langues que la langue oHicielle, 1'unité culturelle se présentait plutot comme un but a atteindre que comme une réalité observable. Un exemple qui illustre clairement cet écart se manifestait alors dans la distance existant entre International O¡'-RIMOINE IMlvlATERIEL ET DiJERSITE CULTURELLE DE!., EíJ!(;!v!EC PO' JF: _ Ai'ITHROPOLOGIE ME '¡"¡.mE celle soulignant achaque instant son caractere unitaire se sont résolues par le biais d'une taxinomie. Au lieu de faire référence a un patrimoine culturel en général, les documents internationaux ont eu tendance a établir une dis- tinction plus ou moins précise entre le matériel et 1'immatériel, cette distinction rappelant l'ancienne dichotomie chrétienne entre matiere et esprit. La Convention de 1976, la diversité linguistique et 1'unité culturelle recherchée par établie au Mexique, avan~ait que le patrimoine culturel les programmeséducatifS.Dans l'ouvrage Versun nouveau de 1'humanité incluait aussi bien les créations héritées du Mexique, qui fonda les bases du projet indigéniste, Manuel passé au niveau matériel que les habilités artistiques et les Gamio rappelle le fait que la diversité linguistique du pays sensibilités esthétiques au travers desquelles les peuples constituait un obstacle pour les programmes éducatifs, raiactuels s'expriment. Parrni d'autres criteres, la Charte de son pour laquelle il suggéra la mise en place d'une vaste Mexico de défense du patrimoine culturel définissait le campagne d'hispanisation qui donnerait aux peuples indipatrimoine immatériel comme l' ensemble des "us et cougenes 1'acces aux bénéfices du progres: les langues inditurnes de tous les peuples et groupes ethniques, du passé genes représentaient selon lui "une certaine utilité pour et du présent", parrni lesquels se trouvaient les "exprescertaines spécialités scientifiques, comme les études ethsions littéraires, linguistiques et musicales" (1976: 56). nographiques et folkloriques; en revanche elles n'apporL'expression "us et coutumes" qui, des années plus tard, teraient pas le progres culturel des aborigenes, cela étant fera partie de 1'article 4 de la Constitution du Mexique, 1'objectiH atteindre" (Gamio, 1987: 69). représentait un concept encore plus abstrait que celui de Par définition, 1'idée du patrimoine national présup"culture traditionnelle et populaire" employé dans des posait un champ relativement homogene, avec des limites documents antérieurs, mais avait 1'avantage d'élever au spatiales et un bien commun limité et quantifiable. Pourrang de patrimoine les pratiques, croyances et connaistant, de cerre idée résultait un principe incompatible avec sances qui ne se manifestent pas forcément sous forme de les visions anthropologiques identifiant culture et divercréations monumentales. En conséquence, a partir de sité, dont les conceptions du patrimoine étaient forcément 1992, la législation nationale fut substantiellement modiplurielles. Construire 1'unité d'un patrimoine sur la base fiée, admettant que "la nation mexicaine a une composid'une carte culturellement diverse était une tache qui prétion pluriculturelle fondée originellement sur ses peuples supposait le développement d'un projet national construit indigenes", et l' obligation de protéger et de promouvoir sur la reconnaissance de la pluralité. Pour 1'anthropologue "le développement de ses langues, cultures, us, coutumes, mexicain Guillermo Bonfil, qui tout au long de sa vie s'est recours et formes spécifiques d'organisation sociale" fut prononcé en faveur de ce projet, il s'agissait avant tout ainsi légalisée. d'accepter la diversité des patrimoines culturels, aussi légiPour les pionniers de 1'indigénisme mexicain, la construction d'une nation comme la notre se confi:ontait a de times les uns que les autres, 011la culture nationale prendrait le role d'un terrain partagé par rous et d'un champ sérieux problemes, ils allaient de la diversité linguistique propice au dialogue. En soulignant que ce processus sup- jusqu'a 1'hétérogénéité religieuse et culturelle. Aujourposait "un dialogue entre égaux, et non pas un monologue d'hui, étant donné que le pays n'a plus beso in de preuves vertical qui ne se transmet que dans un seul sens" (1979: de son existence, la diversité peut etre con~ue plutot comme 39), Bonfil déplorait que la culture nationale soit excluune richesse que comme une lirnitation. Du fait que la sivement identifiée a la culture occidentale, notamment pluralité du Mexique se fonde sur les peuples indigenes en raison de 1'intention idéologique de conformer et de habitant le territoire national, comme 1'admet 1'article 4 légitimer un patrimoine universel. De la surgit le besoin de la Constitution, ceux-ci se trouvent dans une position de questionner pourquoi une pyrarnide, un monument qui peut etre considérée jusqu'a un certain point comme historique ou une piece artisanale avaient une valeur cultuprivilégiée: ils représentent l' embleme de la différence, le relle plus importante qu'une langue vernaculaire ou une bastion de la diversité culturelle préservée par une nation danse cérémonielle, bien que ces dernieres aient constitué qui, aujourd'hui, ne se reve plus comme unitaire. Si 1'on des éléments indispensables a la reproduction sociale et admet que la culture ne peut etre connue que par ses difculturelle d'un groupe déterrniné. férences, on comprendra pourquoi le développement de Au rnilieú des années 1970, les différences entre la ces langues et us et coutumes est un ingrédient indispenperspective mettant 1'accent sur la diversité culturelle et sable pour identifier nos propres variantes culturelles. Les , . 51 setzen und dies namentlich in der lateinamerikanischen und peuples indigenes en particulier sont la pour nous rappeler que nos valeurs sont également relatives, sujettes au temps et a l' espace, et aussi pour nous faire voir que la différence, quand elle n'est pas traduite en ségrégation et discrimination, a pour valeur de fonctionner cornme une limite a nos propres convictions et croyances. RI~~SUNTO: Fino agli anni '70 del Novecento le grandi convenzioni dell'UNESCO avevano definito i loro campi d'applicazione in base a una visione estremamente ristretta del BIBLIOGRAPHIE patrimonio culturale, limitato essenzialmente alla sua una dimensione archeologica. Nel corso degli anni I'UNESCO e . BONFIL BATALLA Guillermo. 1993. "Nuestro patrimonio der mexikanischen Gesetzgebung. i suoi paesi membri compresero che la nozione di cultura cultural: un laberinto de significados", in Enrique Florescano (com.), El patrimoniocultural deMéxico,Fondo de Cultura Económica, México. implicava degli aspetti immateriali; cosi, a partire dal1972 alla visione archeologica del patrimonio culturale e andata . DÍAZ BERRlO Salvador. 1990. Comeroación del patrimonio sostituendosi una concezione piuttosto orientata all'antro- cultural de México, INAH, México. . FAVRE Henri. Económica, 1998. El indigenismo, Fondo de pologia culturale. 11concetto di "diversita culturale" ha giocato un ruolo decisivo in questo processo; esso ha anche Cultura México. . GAMIOManuel.1987.Hacia un México nuevo, Instituto Nacional Indigenista, México. . LÉVI-STRAUSS Claude.1979.Antropología estructural, Siglo XXI, permesso di indagare la possibilita di rimpiazzare la nozione ormai datata di "monumento artistico e archeologico" con la concezione immateriale del patrimonio culturale, specialmente in seno alle legislature latino-americane, quella mes- México. . LÉVI-STRAUSSClaude.1968.Elogio de la antropología, Cuadernos sicana in particolare. de Pasado y Presente, México. . SAHLINS Marshall. 1993, "Goodbye to Tristes Tropiques; LÉGENDES DES lMAGES Ethnography in the Context of Modern W orld History", Joumal d Modem History,No. 65. Photos pages 48, 49: . V ÁZQUEZ 2010. @ Alain Germond. VALLE, Irene, "Legislaciones nacionales y patrimonio intangible", en El patrimoniositiado: el punto devista delos trabajadores, Trabajadores académicos delINAH, 1995. est docteur en anthropologie et membre du Systeme national des chercheurs (niveau 11), ainsi que l'Académie mexicaine des sciences anthropologiques. 11est actuellement professeur dans le cadre du programme d'études supérieures en anthropologie sociale a l'Ecolenationaled'anthropologie et d'histoire (ENAH)a Mexico. 11est I'auteur, notamment, de La ceremonia perpetua (1993), Lagunas del tiempo (2002) et El cuerpo de la nube (Premio Sahagún, INAH, 2005).smillan@prodigy.com.mx L'AUTEUR: Saúl Millán ZUSAMMENFASSUNG: Bis in die 1970er Jahre definierten die grossen UNESCO-Konventionen ihren Zustandigkeitsbereich gemass einer extrem eingeschrankten Auffassung von Kulturerbe, die sich grósstenteils auf eíne archaologische Dimension beschrankte. 1mVerlauf der Zeit verstanden die UNESCO und ihre Mitgliederstaaten, dass die Definition von Kultur auch immaterielle Aspekte umfasst. Seit 1972 wurde die rein archaologische Auffassung von Kulturerbe allmahlich durch eine Konvention ersetzt. die sich der kulturellen Anthropologie annaherte. Das Konzept von "kultureller Diversitat" hat eine einschlagige Rollein diesem Prozess g~spielt. Es hat ermóglicht, die veraltete Auffassung von "künstlerischem und archaologischen monument" durch eine Vorstellung von immateriellem kulturellem Erbe zu er- Exposition parce Queue,Musée d'histoire nacurelle,Neuchatel, 2009- , .